J’ai Osé ! Rawiya Abdoulkarim : J’ai écrit le livre que je voulais lire

Difficile de définir Rawiya Abdoulkarim en quelques mots, tant cette femme est riche intérieurement, créativement et humainement. 

Quoi que. On pourrait se contenter de la signification de son prénom :  Rawiya. Il vient de la langue arabe et se traduit comme “La conteuse”. 

Comme si ce prénom la prédestinait à déposer des mots sur les émotions, les vécus, les expériences des personnes qu’elle rencontre dans son quotidien. Comme si ce prénom lui donnait un sixième sens pour conter avec justesse ce qui ne se voit pas mais qui fissure tout. Toutes ces symboliques ont formé et forgé son parcours au point qu’elle devienne presque naturellement, écrivaine. 

Chez Speech Echo on a décidé de consacrer le premier portrait des “femmes qui ont osé créer une autre voie”, à cette jeune auteure de 30 ans. Nous avons eu un coup de cœur pour son énergie et son courage de se lancer, sans filet, dans ses projets. 

Rawiya Abdoulkarim est une franco-djiboutienne qui a su faire de ses deux cultures sa force majeure. Cette diversité lui permet de mettre les pieds partout et de comprendre l’altérité.  Elle vit à Marseille, une ville à l’image de la personnalité de l’auteure. Vibrante, surprenante, inattendue et rayonnante. 

Rawiya Abdoulkarim est l’auteure du roman Zahra, la rose des Lys, publié en 2021. Ce livre raconte l’histoire de Zahra, une jeune mère victime de violences conjugales. Un thème difficile que Rawiya Abdoulkarim a abordé sans détours mais avec finesse. Ce roman explore l’ensemble de l’histoire de Zahra dont le chemin de vie est jalonné d’une violence indicible. 

La jeune auteure évoque la déconstruction du passé de son héroïne et sa reconstruction malgré les blessures qu’elle conserve. Peut-on les transformer ? Peut-on se réinventer après une telle expérience douloureuse ?

Je ne voulais pas seulement écrire. Je devais écrire cette histoire.

Ce roman bouleversant, elle a choisi de l’écrire seule de son côté sans en parler à qui que ce soit. “Ce projet était complètement secret. J’ai fait ce choix parce que je voulais être sûre d’aller au bout. Ce projet était tellement important que je voulais m’assurer d’être seule avec cette idée pour la réaliser jusqu’au bout”, explique la romancière. 

Aucun de ses proches n’était au courant de son désir d’écrire un livre, “à part ma psy, qui m’a apporté beaucoup de soutien dans ce projet”, explique l’auteure.  

A seulement 26 ans, Rawiya Abdoulkarim s’est lancée dans cette aventure littéraire inconnue. Sans se poser de questions mais en étant mue par un combat intime et son amour de l’écriture qu’elle pratique depuis son plus jeune âge. L’écriture ce processus qui lui offre un accès “à une réalité parallèle”.

“Cette histoire ne me quittait pas. Elle était dans ma tête. Je devais l’écrire mais je ne savais pas si je devais la publier”, confie Rawiya Abdoulkarim. 

Comme un appel urgent, son roman est presque né de lui-même dans son esprit. 

Cette urgence, Rawiya l’a entendue et l’a transformée en un premier roman. 

Si tu ne parles de ces femmes victimes de violences, personne ne le fera

Le déclic qui l’a poussé à raconter une histoire à travers un roman est une succession d’expériences professionnelles et personnelles. Après avoir obtenu un diplôme d’une école de commerce, Rawiya Abdoulkarim recherche de nouvelles expériences pour aller “chercher l’humain, que je ne connaissais pas finalement”. 

Curieuse, elle tente plusieurs expériences professionnelles variées. Une sorte d’immersion dans des métiers auxquels elle n’avait jamais touché pour y rencontrer différents profils, se mettre à la place des autres, comprendre la valeur du travail.

Durant ce parcours presque initiatique Rawiya Abdoulkarim devient également bénévole chez SOS Amitié à Marseille, une association qui propose des écoutants bénévoles à des personnes qui traversent des périodes difficiles et traumatisantes. La même année, elle reprend des études, cette fois-ci tournées vers la psychologie. 

C’est durant cette même année qu’elle entame l’écriture de son livre. Après avoir entendu et écouté avec attention des histoires bouleversantes, elle sent qu’elle doit transmettre leur vécu. 

“En fait, j’entendais régulièrement des histoires de violences faites aux femmes. C’était récurrent. Pour moi c’était évident que je devais leur donner la parole.” 

Rawiya Abdoulkarim

L’auteure se consacre pendant une année à l’écriture, aux recherches, à la construction de ses personnages et une réécriture des pages de son livre. 

 “J’ai écrit le genre de livre que j’aurais voulu lire plus jeune”, explique Rawiya, qui s’excuse presque d’avoir cette réflexion alors qu’elle est à l’origine de son premier livre publié. 

Le processus d’écriture, Rawiya le met en place seule. Elle apprend sur le tas : quand entamer l’écriture, quand l’arrêter ou encore comment la relancer quand elle bute sur un passage. 

“J’ai commencé à écrire en 2019. Je dirais qu’il m’a fallu en temps d’écriture d’environ six mois. Parce que j’ai dû faire des pauses. J’avais besoin de prendre du recul sur ce que j’écrivais, de voyager et de me nourrir d’autre chose, m’enrichir”, explique avec beaucoup de maturité Rawiya.

 

“Écrire cette histoire était très énergivore, ce livre qui évoque des violences répétées, c’était très dur à écrire, je devais prendre de la distance”, explique Rawiya. La jeune femme a su prendre son temps pour rester juste dans son récit et se protéger. Durant tout le processus elle s’entoure d’une thérapeute avec laquelle elle échange sur son expérience. “Je le martèle, mais être bien entourée est majeur durant ce genre de projet. Il faut penser à soi, prendre du temps, faire attention à sa santé psychique”, insiste-t-elle. 

“Je n’ai pas lâché, parce que certes dans l’écriture j’étais seule mais je n’écrivais pas que pour moi mais pour toutes ces femmes. Je me disais ‘Rawiya, tu ne peux pas lâcher, pour elles, si tu ne le fais pas personne ne les fera parler’”, raconte avec force l’écrivaine. 

Ne rien lâcher malgré un refus global de parler de ce sujet

“Quand je l’ai terminé, là je me suis dit : bon on fait quoi ? Je me suis décidée à trouver un éditeur même si j’étais effrayée. Ne serait-ce qu’ à l’idée de livrer mon bébé à quelqu’un d’autre”, raconte l’auteure. 

“Écrire cette histoire, c’était redonner une identité à une personne victime de violences. Quand on parle des violences conjugales on en parle seulement avec des chiffres. Mais qui sont ces femmes, comment survivent-elles, qu’ont-elles vécu ? »

Sa recherche d’éditeur est longue et laborieuse. A la sortie d’une crise sanitaire, se faire publier est compliqué.

D’autant plus que les maisons d’éditions lui refusent son manuscrit parce qu’il aborde “sujet délicat”, raconte Rawiya. Évoquer les violences faites aux femmes n’est pas l’urgence des maisons d’édition.

Mais la romancière ne s’arrête pas aux refus, ce livre devra exister coûte que coûte. 

“Écrire cette histoire, c’était redonner une identité à une personne victime de violences. Quand on parle des violences conjugales on en parle seulement avec des chiffres. Mais qui sont ces femmes, comment survivent-elles, qu’ont-elles vécu ? On parle toujours plus du conjoint, des raisons de sa violence. Mais moi ce qui m’intéresse c’est la femme. C’est la victime”, rappelle Rawiya Abdoulkarim toujours aussi animée par son sujet. Alors hors de question d’abandonner le projet de publication aux oubliettes. 

“C’est en septembre 2021, que ça s’est débloqué. J’étais en voyage à Amsterdam quand une amie m’a envoyé un lien pour la Journée du Manuscrit Francophone organisée par les Editions du net”, explique Rawiya. 

“Je voulais le revoir avant de l’envoyer, alors pendant mon séjour à Amsterdam j’ai réécrit de nombreuses parties. La journée je visitais la ville et le soir j’écrivais. Je ne m’arrêtais pas, c’était intense” se souvient Rawiya. Elle parvient à terminer sa réécriture et l’envoie à la maison d’édition qui accepte de le publier. 

Perfectionniste et animée par l’envie d’être le plus juste possible, Rawiya Abdoulkarim accompagne ce livre, “son bébé” jusqu’au bout. 

“La veille de la publication du livre, j’ai dit à mon éditeur; je n’aime pas la fin. Je l’ai entièrement réécrite en une nuit. Puis j’ai enfin envoyé le manuscrit qui a été publié en octobre 2021”, raconte-t-elle. 

Selon Yasmina Khadra, elle sera une grande écrivaine

2021 marque la concrétisation d’un rêve qu’elle a transformé en réalité à une vitesse incroyable. Rawiya Abdoulkarim peut crier au monde entier qu’elle a écrit un livre. 

Lors de sa publication, elle se contente modestement d’envoyer le lien de son livre à ses soeurs qui découvrent enfin que la jeune femme a osé se lancer dans cette aventure sans en parler à quiconque. Sa famille est agréablement surprise. “Elles m’ont dit quoi mais tu as écris un livre sans le dire à personne?”, explique Rawiya. 

Ses proches sont fiers de voir la jeune Rawiya prendre son courage à deux mains pour parler d’un sujet aussi difficile à appréhender. “C’est l’avis de ma mère qui a compté.  Elle l’a achetée sans me le dire, ça je ne m’y attendais pas. Elle l’a lu dans un avion entre Marseille à Djibouti. A la fin de sa lecture elle m’a dit ‘Je suis fière de toi.’ Ma mère travaille aux Nations Unies, alors pour la satisfaire il faut y aller”, plaisante Rawiya. “C’est l’une des plus belles reconnaissances”, confie-t-elle émue. 

Le roman est en vente dans les grandes librairies françaises. Et la machine est lancée. Après la parution du livre, Rawiya mène une tournée littéraire à travers des événements en France et à Djibouti, son autre pays. Les médias l’invitent à parler de ce sujet tabou dans le pays. Elle intervient même auprès de lycéens pour parler de littérature mais surtout des violences faites aux femmes. Notamment en les initiant à l’écriture. 

“Je suis très fière des retours de personnes qui ont lu le livre et m’ont dit : je ne suis pas toute seule. Des femmes se sont reconnues, elles ont parfois reconnu une membre de leur famille dans ce livre. C’est pour toutes ces personnes que j’ai écrit”, explique Rawiya.  

Son livre est finalement devenu plus qu’un objet mais un point d’ouverture, sur un sujet sociétal encore trop intouchable que ce soit en France ou à Djibouti. 

En se lançant seule et à une vitesse incroyable Rawiya n’a pas laissé le doute s’installer et compromettre ce projet nécessaire. 

Elle se promet de poursuivre l’écriture. “J’ai envie de réécrire, j’ai d’autres projets d’écriture. Mais ce sera plus difficile que la première fois, parce que maintenant tout le monde m’attend, on attend déjà le prochain”, confie Rawiya Abdoulkarim, qui admet conserver une forme de “syndrome de l’imposteur malgré tout ce que j’ai fait”. 

Pourtant ce livre est la preuve de sa capacité à créer. Durant sa tournée littéraire elle a eu l’occasion de rencontrer son auteur favori Yasmina Khadra. “Il m’a dédicacé un roman et m’a dit : ‘Vous serez une grande écrivaine’”, se souvient la jeune auteure. 

Une énième preuve qu’écouter son instinct peut révéler des talents que l’on osait à peine voir. “Le commencement c’est soi-même. Ne pas penser aux autres. Il faut faire ce qu’on aime faire”, conseille Rawiya Abdoulkarim. 

Pour commander son livre : Maupetit Libraire

Suivre Rawiya Abdoulkarim sur Instagram : @cœur.sur.vous

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